CELAN


Sorel Cohen & Barbara Todd (Montréal)


15 janvier au 21 février 2004
Une collaboration spéciale entre Sorel Cohen et Barbara Todd

À chaque année, Dazibao invite deux artistes n’ayant jamais travaillé ensemble à collaborer à une exposition. Sorel Cohen et Barbara Todd ont trouvé une inspiration commune dans les textes de Paul Celan, un poète juif qui écrivait en allemand sur l’Holocauste. Par la vidéo, la photographie, le texte et la sculpture, les artistes circonscrivent le seuil entre parole et silence, entre concret et immatériel, donnant une expression visuelle à des thèmes et à des préoccupations qu’elles partagent entre elles et avec le poète.

- Il est temps que la pierre consente à éclore.

- Extrait de Corona.

Depuis quelque temps déjà, Barbara Todd s’intéresse aux pierres, à la fois comme objet et comme métaphore. La pensée inconfortable d’une bouche remplie de cailloux est, pour l’orateur classique grec, un remède contre le bégaiement et, pour Celan, une métaphore de l’énoncé poétique. Mouthful of Stones (1996) a été la première œuvre dans laquelle Todd a abordé directement ce thème. L’œuvre faisait partie d’une série de courtepointes bleu foncé et noires qui traitaient de sécurité, de domesticité et du moi intérieur. L’artiste tentait de répondre, de manière réfléchie et générale, à la question suivante : contre quoi pouvons-nous protéger nos enfants? Que ce soit contre les cauchemars ou les bombes nucléaires, les couvertures semblent être la forme de sécurité la plus honnête qu’une mère puisse offrir. À partir de ses exquises courtepointes, qui l’ont fait connaître, Todd a étendu ses activités à d’autres matériaux évocateurs. Dans ce nouveau corpus d’œuvres, elle grave à l’eau forte sur le verre la forme de roches trouvées sur le bord de la mer. Traitées de cette façon, les formes ressemblent aux traces laissées par le souffle sur une fenêtre, un indice fragile du seuil entre l’intérieur et l’extérieur du corps. Ces images se juxtaposent à des fragments de textes tirés des poèmes de Celan, choisis par l’artiste pour leur allusion à la bataille qu’il faut livrer aux mots, à l’effort exigé pour passer du silence à la parole et de la parole au silence.

En grande partie autobiographiques, les œuvres de Sorel Cohen puisent en histoire de l’art et dans divers autres textes pour donner une voix à ses expériences comme artiste, femme et Juive. L’artiste est sans doute surtout connue pour son important corpus de photographies sur le motif du lit. Comme lieu du sommeil, du rêve, de l’amour et de la solitude, il a permis à Cohen de faire entrevoir le moi psychologique. Dans la présente exposition, ses œuvres agissent comme contrepoints métaphoriques à l’émouvant poème de Paul Celan intitulé Todesfuge (Fugue de la mort), plus précisément au refrain évocateur à la fin de chaque strophe :

dein goldenes Haar Marguerite (tes cheveux dorés Marguerite).

dein aschenes Haar Shulamith (tes cheveux cendrés Sulamite).

Prenant ce refrain comme une condensation de l’histoire des Allemands et des Juifs, avec toute sa tragédie historique, Cohen donne à Sulamite le rôle de la Juive et à Marguerite celui de l’Allemande. Sulamite est cette femme qui est au cœur du Cantique des Cantiques dans la Bible, un recueil de versets sur le thème de l’amour humain érotique. Dans l’installation de Cohen, Sulamite est représentée par une menora dessinée directement sur le mur. Une boucle vidéo transforme la menora en cénotaphe à sept flammes. Dans les flammes, les images des parentes disparues de l’artiste prennent la forme symbolique des cendres pour commémorer la destruction des Juifs européens.

Rappelant le poème de Goethe, Faust, la Marguerite de Celan n’est suggérée que par un grand tondo dans lequel la forme d’un svastika jaune se révèle au spectateur. Puisant des éléments dans un passé lointain – la menora a été inspirée par une mosaïque recouvrant le sol d’une synagogue qui remonte à l’ère babylonienne –, dans l’histoire personnelle de l’artiste et dans le présent, l’installation de Cohen offre une représentation visuelle multidimensionnelle du poème obsédant de Celan.


Établie à Montréal, Sorel Cohen est une figure importante de la scène photographique canadienne depuis plus de vingt ans. Son mémoire de maîtrise examinait l’art féministe des années 1970, alors que sa pratique artistique crée des liens originaux entre la photographie, la peinture et le cinéma. Elle a été invitée comme conférencière par plusieurs universités canadiennes et, en 1998, se méritait le prix de photographie du Duc et de la Duchesse de York, remis par le Conseil des Arts du Canada. Son travail a fait l’objet d’expositions personnelles dans les principales villes canadiennes, de Halifax à Vancouver, de même qu’aux États-Unis et en Europe.

Née à Galt en Ontario, Barbara Todd a étudié la gravure, le dessin et l’histoire de l’art à l’Université de Guelph. En 1981, elle s’installait à Banff en Alberta, où elle a vécu pendant douze ans, prenant part à des résidences au Banff Centre for the Arts et y travaillant dans le cadre du programme textile. En 1993, elle déménageait à Montréal où elle poursuit présentement sa pratique artistique. Son travail a été présenté à plusieurs reprises en Amérique du Nord et ses œuvres font partie de plusieurs collections publiques et privées. En plus de son travail en atelier, elle enseigne à temps partiel à l’Université Concordia.




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